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Geek à tout va

December 9, 2010

A moins d’avoir passé les 3 dernières années dans une grotte, vous n’êtes pas sans ignorer que le Geek est partout, qu’il est de bon goût et tout à fait fréquentable après des années de dénigrement.

Mark Zuckerberg ?  Geek.

Julian Assange ? Geek.

François Fillon ? Geek*.

A force de le voir partout, le mot est devenu un mot-valise, sémantiquement creux, qui peut désigner à peu près tout et n’importe qui. Plus précisément « n’importe qui… qui touche de près ou de loin à un ordinateur/aux nouvelles technologies ».

En effet,  il suffit de constater la tendance depuis quelques années à s’auto-définir geek pour comprendre que le mot plaît et tend à sortir de son ancienne signification, autrefois accordée aux techniciens ultra-férus d’informatique,  pour conquérir  tous ceux qui se sentent des affinités avec les innovations technologiques et le numérique en général. Les Misc 11 eux-mêmes sont étiquetés geeks au sein du Celsa avec une facilité déconcertante, alors que peu d’entre nous peuvent sortir du cours de XML du vendredi avec la tête haute.

Cette appropriation plus généraliste du mot geek a pris naissance sur Internet où le terme s’est popularisé progressivement grâce à de nombreux sites et blogs à succès, s’adressant à des cibles larges et non aux seuls passionnés de technique.

A mesure que se généralisent les usages d’Internet et de l’informatique, le mot a vu logiquement son nombre d’adeptes grossir, geek est désormais un élément consensuel de toute bonne politique de personal branding pour ceux qui se réclament d’une quelconque expertise en matière de culture digitale.

Pour n’en citer que quelques-uns : « Le Journal du Geek » la web-série « Hello Geekette », le fameux « geek test » ou encore les blog signés,”le Papygeek” ou « Le Publigeekaire » sont à l’image de cette popularisation.

Une définition commerciale a naturellement suivi, culminant avec la mode des chemises à carreaux et des lunettes cerclées, taxée de « mode geek » sous prétexte que nos amis les geeks ont apparemment le monopole de la myopie sévère.

Le geek, en ce qu’il désigne désormais potentiellement des urbains actifs ayant un grand intérêt pour les nouvelles technologies, devient également une cible publicitaire et, à ce titre, un adjectif couramment employé dans le monde de la communication pour désigner cette cible potentielle.

L’adjectif geek s’est également séparé de sa connotation « no-life » avec l’émergence du web social; il s’est également délesté de ses vrais/faux synonymes “gamer” et “nerd” pour devenir synonyme de cool. Zuckerberg ou encore la fine équipe de “Big Bang Theory” ne pourront pas dire le contraire.

Mais comme toutes les appellations visant à ranger les individus dans des cases, l’appellation geek est en premier lieu contestable par sa nature même, une étiquette ramenant avec elle des conceptions stéréotypées des individus. Le cas du mot geek est bien particulier puisque la culture geek, avec tout ce qu’elle possède de références, de private jokes, de vocabulaire depuis une quarantaine d’années, revendique un esprit anti-mainstream et non-conformiste.

En vulgarisant le mot geek, on dénature progressivement et complètement sa signification première, tout en célébrant la victoire de l’universalisme un peu fourre-tout de la culture digitale.

Pour nous quitter en beauté, une citation qui résumera tout le propos :

« Je suis un vrai “geek”. Je veux essayer toutes les nouveautés. En ce moment, j’utilise principalement un iPhone 3G, un Nokia, un iPod nano et, côté photo, un Nikon D700 et un Panasonic Lumix. »

François Fillon in SVM le Mag, numéro de juillet-aout 2009

6 Comments leave one →
  1. December 10, 2010 10:03 am

    Mis à part l’origine du mot, y a aussi une distinction qui maintenant est assez intéressante : opposition du geek type apple fan vs. geek à l’ancienne en mode white hat. Gadget-geek vs. le geek-anar.

  2. December 10, 2010 10:55 am

    A vrai dire , c’est plutôt le hipster qui “revendique un esprit anti-mainstream et non-conformiste”, mais la confusion est compréhensible puisque l’on assiste de plus en plus à la fusion des hipsters et des geeks.
    Le geek est à l’avant-garde en matière de technologies, mais complètement mainstream en termes de contenus culturels.
    On pourrait facilement défendre que le geek est le plus fervent défenseur du mainstream : il donne ses lettres de noblesse à la pop culture (cf. Henry Jenkins), il fait exister la culture mainstream et les cultures alternatives comme des cultures à part entière contre les hiérarchies culturelles maintenues par les élites (cf. Ecole de Francfort, Finkielkraut).

    • Juliette O. permalink*
      December 10, 2010 11:46 am

      Merci pour vos précisions ! Pour moi le hipster est partiellement un produit de la récupération commerciale du geek, dans un dérivé plus “tendance” disons.
      Mais pour moi la culture geek reste à part, et non-conformiste dès le départ puisqu’elle concernait les matheux qui vivaient dans leur monde, avec leur propres références internes.
      Comme la culture geek embrasse tellement de choses et de termes, cela me paraissait avant tout important de décrire ce que le mot était devenu et comment il était utilisé désormais et je n’ai pas pu être tout à fait exhaustive.. #damnit

  3. December 10, 2010 1:10 pm

    Ces termes sont difficilement définissables. L’évolution par rapport à la définition première de ces notions et l’importance de leur propagation sont en eux-même des faits intéressants à questionner.
    Elles soulignent une valorisation de la culture technique, technologique à l’heure où nombre de nouveaux modèles de self made man sont issus de ce monde technolophile porté par des valeurs libertariennes (cf Chris Anderson).

    Concernant la définition du “geek” j’ai personnellement l’impression que ce terme fait, au contraire, de plus en plus appel à la culture geek (mème, nombre croissant de comics adaptés sur grand écran, Big Bang Theory…) couplée à une technophilie (dans le sens de consommation de produits technologiques). Au contraire la notion de nerd semble elle être remplie dans l’inconscient de la connaissance technique.
    Dans ces conditions de définition il devient très aisé de se dire “geek”.

  4. December 13, 2010 11:53 am

    Oui effectivement il est difficile de rendre compte du terme du fait de son historicité et de sa polysémie, et du fait que les frontières de ce que l’on appelle couramment le “mainstream” sont elles-mêmes mouvantes.
    On trouve de très belles infographies sur le net qui détaillent les différentes typologies de geeks : http://tinyurl.com/3xog88w.
    Mais vous avez tout à fait raison de souligner qu’au delà des querelles terminologiques le vrai sujet à interroger est le soudain changement de valence du terme et les nouvelles mystifications de l’idéologie digitale dont elle est le symptôme.
    Il y a probablement un bon sujet de mémoire à faire sur le sujet !

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